EL ARTE DE LA SIESTA
La première fois que je suis monté à la Tour Eiffel, au premier étage, j'avais dix ans. Je n'y suis jamais remonté, trop difficile, trop de monde, trop d'attente, trop de marches. Et puis mon père disait que c'est au fait de n'être jamais allé grimper la fameuse tour qu'on reconnaît les vrais parisiens. J'en resterai donc à de vagues souvenirs de comptoirs crasseux remplis de bimbeloteries pour touristes fatigués. Qu'elle reste où elle est, je reste sur terre, d'où on la voit très bien.
J'ai donc tourné ce film depuis le sol, en quelques jours de ciel bleu. Le ciel bleu fait bien ressortir ce qu'elle est : une vision du futur tel qu'on le voyait dans le passé. Un roman de Jules Verne fait de métal. Et par là-même, elle est très belle la Tour Eiffel, très cinématographique avec tous ces petits bonshommes qui la gravissent hors d'haleine et tous ces petits ascenseurs qui montent et descendent.
La Tour est un meccano et j'avais envie de la reconstruire afin de mieux donner à saisir ce qu'elle exprime. J'ai ajouté mes pièces, multiplié les piliers et les traverses. Pour redonner en images les sensations qu'on éprouve en un lieu, il faut le reconstruire, voire assembler plusieurs lieux en un seul pour exprimer ces sensations.
Pourquoi cette musique, pourquoi ces images ? Peut-être du fait de l'accordéon qui évoque Paris. José Manuel utilise dans sa pièce éponyme El arte de la siesta l'accordéon pour passer insensiblement d'un univers instrumental à un univers électronique à travers les transformations en temps réel de l'instrument. Il se pourrait (je dis ça maintenant mais je n'y pensais évidemment pas au moment du tournage et du montage du film) que mon montage du genre meccano envisage le même passage entre deux univers, ici visuels. Il ne vise pas à reconstruire un Tour Eiffel plus grande selon d'autres plans. Il active plutôt une sorte d'emportement, de prolifération du métal de la tour, qui tend à lui faire franchir un ou deux siècles voire plus par le passage insensible entre la réalité de la tour que certaines images rapportent et d'autres où on se rend compte, peu à peu, que les visiteurs s'affranchissent de la gravité. Du coup ce n'est plus d'en bas seulement qu'on la voit, la tour, mais aussi bien d'en haut ou de l'intérieur.