FAIRE L'AMOUR UNE LECTURE JAPONAISE
En 2005 Jean-Philippe Toussaint me proposa de le filmer en train de lire son livre Faire l'amour.
Depuis La cuisine de Jean-Philippe Toussaint j'avais lu tous ses livres et j'aimais beaucoup. Je trouvais qu'il arrivait à utiliser un style d'un classicisme raffiné, à des fins qui n'étaient pas classiques et qui exprimaient au mieux notre modernité. Je le voyais comme un désespéré optimiste, lui qui adorait Beckett. Du coup j'étais prêt immédiatement à lui dire oui pour toute proposition de collaboration. Bon, pas comme ça non plus. L'idée de le filmer en train de lire son livre sur une scène, comme il me le proposa, ne me paraissait pas ce qu'on pouvait faire de mieux. Je lui suggérai donc de le filmer in situ, c'est à dire au Japon, sur les lieux de l'action. Très bien me dit-il, c'était possible en juin puisque justement il devait se rendre à Tokyo pour un cycle de conférences à l'université. Je lui proposai également (j'avais beaucoup d'idées, il m'inspirait beaucoup) (y compris pour l'usage des parenthèses dans un texte) de tourner cette vidéo pour trois écrans, un peu à la manière des estampes en triptyque. Trois écrans, ça voulait dire trois fois plus d'images à tourner pendant le peu de temps qu'il était disponible, c'est à dire quelques jours, je ne sais plus, moins d'une semaine. J'irai également tourner une partie des images à Kyoto, en retrouvant là-bas Sylvain Cardonnel, professeur et traducteur entre autres de Murakami (Ryu pas Haruki) qui avait joué le journaliste dans notre pochade La villa Kujoyama .
Jean-Philippe s'occupa du texte, évidemment, il sélectionna et monta pour notre vidéo les chapitres de son livre. Je m'occupai de l'image et particulièrement de l'arrangement des triptyques.
Les triptyques m'ont toujours intéressé. Je crois que leur secret c'est que la totalité de l'espace d'un triptyque est plus grand que la somme des espaces des volets qui le composent. Il fallait qu'il y ait du jeu entre les volets, pour laisser passer un peu de lumière, et il fallait aussi que les volets en étant juxtaposés se raccordent parfois en créant un paysage, un peu comme les jeux de cartes des sept familles qui, lorsqu'on les pose côte à côte, dévoilent un fond uni. Mais ce serait un paysage nouveau, crée par l'addition (la multiplication ?) de trois images identiques disposées tête-bêche, qui ainsi déplient en accordéon l'espace de l'action et l'agrandissent de l'intérieur.
Nous travaillâmes en échangeant constamment des mails. Jean-Philippe était particulièrement attentif à chaque mot de son texte, j’essayai de l'être à chacune des images.
Photos de Jean-Philippe Toussaint et journal de tournage paru dans la revue Tokyojin.